Depuis le 24 juin 2016, date du décès de mon petit frère, je ne vois plus le monde de la même manière. Je pensais qu’avec le temps, la douleur diminuerait, le manque se dissipera et que je finirai par m’y faire. Mais plus le temps passe, plus je ressens ce vide qu’il a laissé dans ma vie, plus je me pose des questions plus la douleur s’accentue. Trois ans après, je réalise qu’on ne guérira jamais de la mort d’un être cher comme un frère.
Il est née au petit matin du 15 Février 1997 à Labé. Nos parents venaient d’avoir leur deuxième garçon et quatrième enfant. Celui qui sera mon unique petit frère était née et ils l’ont appelé Mamadou Saliou comme notre grand-père maternel. C’était un beau bébé aux joues ronds et pleines. Fougueux, joyeux et plein d’énergie. Il était ce genre de bébé que toute personne voudrait pour soi-même.
Il fut, dès ses trois ans, inscrit à la maternelle, chose qu’il a eu du mal à accepter, pleurant tous les matins avant d’y être déposé par l’un de nos deux parents. Un enfant ‘’plein la maison’’, ‘’casse-tout’’ et ‘’bavard’’, il pouvait jouer et parler seul avec ses jouets toute la journée. Dès qu’il s’éclipsait de la maison pour aller jouer dans le voisinage ou chez nos grands-parents, le calme ou dirai-je la nostalgie s’installait. Si nous autres de la famille, apprécions quelques fois son absence, histoire d’avoir de la tranquillité, nos parents, eux jamais. Ils le réclamaient aussitôt alors qu’ils étaient persuadés que ce sont des ‘’arrêtes’’, ‘’quittes-ici’’ ou bien ‘’Ne touche pas à ça’’ qui interviendront dans les dix minutes qui vont suivre son retour. Mais comme on dit souvent, aucun gosse n’est jamais assez insupportable pour ses parents. Et On l’adorait.
Il n’aimait pas bien l’école mais il était obligé d’y aller. Il pouvait en un trimestre, arracher la moitié d’un cahier de deux cents pages pour confectionner des bateaux ou des avions pour jouer avec. Je me rappelle encore des scènes de colère de ma mère lorsqu’il faisait de telles bêtises et de lui avec son air innocent. Il écarquillait ses yeux, maniait drôlement ses doigts et disait bêtement que c’était juste pour jouer. Impuissante, il rendait ma mère!
Mon père lui pardonnait presque tout. Il le punissait ou corrigeait très rarement. Pour lui, c’était un enfant intelligent qui débordait d’énergie, pour lequel il fallait de la patience et une attention particulière. C’était également le point de vu d’un de ses enseignants de l’école primaire.
Entre lui et moi, ce n’était pas tout à fait la rose, il m’énervait, je le tapais, et parfois je le boudais pour, disais-je à l’époque, avoir la paix. C’est l’enfance, disaient nos parents, qui me trouvaient quand même parfois très dure avec lui.
Du haut de ses 15 ans, l’âge de la puberté, il devenait un peu plus posé ; la turbulence qui l’habitait, laissait place à un peu de maturité et de confiance en soi peu abusée pour moi. Sa taille ne lui donnait pas cet âge et ses fréquentations non plus. Certains de ses potes, étaient mes amis d’âge et d’autres beaucoup plus âgés que moi.
L’air pressé de s’ouvrir au monde, il voulait faire tout rapidement. ‘’Tu n’es qu’un gosse’’, lui rappelais-je souvent lorsque je le voyais adopter certains comportements d’adulte ou me parler sous un ton qui m’agaçait. Avec un air moqueur, il répliquait toujours ‘’ C’est ce que tu crois, tu n’as rien compris’’. On se chamaillait beaucoup mais on faisait désormais plusieurs choses ensemble. Je lui avais fait intégrer mon club culturel, on déclamait des poèmes et faisait du théâtre ensemble, on faisait équipe et partageait la même scène. A l’école, on participait ensemble aux activités culturelles et compétitions interscolaires.
Faire de la musique est toujours mal perçu dans une famille qui se veut respectueuse des valeurs de l’islam, comme la notre et lui, il voulait être musicien. J’ai été la première à m’y opposer craignant qu’il abandonne ses études pour se donner entièrement à cette passion que beaucoup de jeunes guinéens talentueux ont échoué à cause des raisons que nous connaissons tous. Lorsqu’il me soumettait ses textes parfois truffés de fautes, pour avis et correction je me moquais des thèmes. Ce n’était pas aussi nul que cela pour un gosse de son âge, je tentais juste de le décourager mais il ne lâchait pas pour autant. Je refusais d’écouter ce qu’il enregistrait en studio par peur de craquer et de céder à ce qu’il voulait mais je voyais le talent. Je suis allée jusqu’à convaincre mon père de le lui interdire. Ce dernier a usé de sa diplomatie habituelle pour lui faire comprendre qu’il ne s’opposait pas à sa passion pour la musique mais qu’il devrait d’abord mener ses études à bout. Ils se sont entendus sur cela et le deal était conclu. Je n’y pouvais plus rien.
Sa taille et son amour pour le basket-ball qu’il pratiquait peu, lui ont valu le surnom ‘’Koby Bryant’’, nom d’un célèbre basketteur américain. Il était trop grand pour un garçon de 17 ans. C’est peut-être à cause de cela d’ailleurs qu’il pensait pouvoir jouer le rôle de grand-frère sur moi (rires) en tentant de me protéger ou de me défendre. On était devenu si proches, on se disait des choses que la famille ignorait et ignore d’ailleurs jusque-là. Il me réconfortait et me rassurait quand je traversais des périodes difficiles :‘’Dia, laisse tomber, ne te prends pas la tête, ça va passer’’. Il était sincère et affectif.
La venue de mon fils au monde nous a encore plus rapprochés. Il adorait les enfants et celui-là était devenu notre petit amour commun, pour qui, on s’appelait et s’envoyait des textos et des photos en longueur de journée. Désormais, je lui tendais mes oreilles à propos de sa musique pour laquelle je suis toujours restée sceptique. Il me rassurait par sa progression à l’école, il sortait de très bonnes moyennes, il était apprécié par les encadreurs; il était très motivé pour réussir son bac et aller à l’université. Voilà le petit frère rêveur et ambitieux que j’aimais. Il était d’un coup devenu mature et cela m’impressionnait, il m’écoutait et me donnait des conseils tel un grand frère. Il était devenu une petite boite à secrets, bref une partie de moi.
Il avait 19 ans, il était en classe de terminale sciences sociales et il préparait activement son bac. On discutait déjà de ce qu’il voulait faire à l’université et des projets qu’on pourrait faire ensemble une fois qu’il nous rejoindrai, notre grand-frère et moi à Conakry. On pourrait veiller sur lui et s’entraider tous les trois, se disait-on.
Dans la matinée de ce vendredi 24 Juin 2016, 19ème jour du mois de ramadan, il m’a envoyé un texto m’annonçant qu’il avait réussi avec brio son examen blanc, celui qui précède généralement le bac: ‘’ Ne t’inquiètes pas, j’arrive pour la fac… Believe on me Sis’’ pour reprendre ses mots. J’étais contente et lui ai répondu que j’étais fier de lui et que j’attendais de voir ce qu’il nous offrirait au bac. Après quelques textos, on s’est dit ‘’Bye! A plus’’.
Mon petit frère et moi venions de nous parler pour la dernière fois…
De retour de la prière, il est allé pour ses cours de révisions. De l’école, il est allé prier ‘’Asr’’ avec ses amis, puis direction, le stade Elhadj Saifoulaye de Labé, où certains de leurs copains disputaient un match. D’après ses amis, il parlait et riait en bon animateur de groupe qu’il était, lorsqu’il s’est incliné calmement sur l’épaule de son ami pour ne jamais se relever. Il avait rendu l’âme! Ce jour là, une partie de moi s’en est allé, un espoir s’est éteint, des rêves se sont envolés et en mille morceaux, mon cœur s’est brisé!
Si seulement j’avais su qu’après cette conversation, on ne se reparlerait plus jamais, si seulement j’avais une idée de ce qui pouvait arriver à 17 heures ce jour, Si et seulement si, je pouvais deviner qu’on m’appellerait à 17 heures pour m’annoncer son décès je lui aurais dit combien de fois je l’aimais, combien de fois j’étais encore et encore fière de lui. Mais hélas, ce n’est que divine !
Aucun mot ne pourra décrire la douleur que j’ai ressentie. J’ai hurlé, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps puis je m’en suis remise à Dieu. Depuis ce jour, chaque fois que je pose mon front sur le sol et que je tends mes mains vers le ciel, je prie Allah de m’aider à m’en remettre, de lui pardonner et de ne plus m’infliger une telle douleur. Mais seul LUI peut. IL peut nous prendre qui IL veut et nous reprendra nous-même quand IL voudra.
Trois ans après son départ, s’il y a une chose dont je suis sure aujourd’hui, ce qu’on ne guérira jamais de la mort d’un être cher comme un frère.
‘’ Tu me manques ‘’MaSaliou’’ à tout moment et à toutes circonstances. Douleur et bonheur, j’aurais aimé que tu sois là pour le partager avec moi. Il y a tellement de choses qui se sont passés dont j’aurais aimé discuter avec toi. Mais hélas ! Mouctar grandit, Alhamdoulilllah, il ne se rappellera pas de toi et de tout l’amour que tu lui as voué c’est certain, mais je lui parlerai de toi et garderai jalousement et soigneusement vos petits souvenirs ensemble ainsi que les nôtres. La mort n’arrête pas l’amour, je t’aime et tu me manques, tu nous manques à tous! Continues de veiller sur nous de là où tu es petit ange. Nous continuerons de prier pour le repos de ton âme jusqu’à ce que notre tour arrive de te rejoindre!’’