Cette histoire d’étoiles ‘’ au loto’’ qui brise des cœurs !

En Guinée précisément au Fouta-Djalon, il est très difficile d’épouser la personne que l’on a choisie par amour. Les traditions font que la fille ou le garçon ne peut en aucun cas choisir seul son/sa conjoint(e) sans l’aval de sa famille ou l’avis des marabouts.

Se marier est une phase décisive mais aussi très complexe pour les jeunes dans le milieu foutanien. Les parents, très souvent conservateurs, se posent des questions, auxquelles ils cherchent incessamment des réponses sur le choix de leurs enfants quand il s’agit de se marier. Que ce soit la fille ou le garçon, quiconque annonce à la famille avoir trouvé son âme sœur, est obligé de fournir des réponses à un tas de questions liées à ce dernier ou à sa famille. Qui est-il/elle? Que fait-il/elle? Qui sont ses parents ? De quelle descendance sont-ils ? Djonboyankés, kalduyankés, seydiyankés ou guériyankés (des sous-groupes claniques chez les peuls…) ils vont jusqu’à demander parfois quelle taille fait-il/elle (ils ont leur interprétation à faire de la taille aussi) ; Ce sont entre autres interrogations auxquelles il faut forcément répondre pour disent-ils savoir à qui ou à quel type de famille ils ont à faire, sous prétexte que ce ne sont pas les prétendants qui se marient mais les familles. S’ils ne sont pas satisfaits des réponses fournies, ils passent à cette autre étape que moi j’appelle le ‘’jeu de hasard’’ : Ils vont consulter un marabout ou un leader religieux pour, arguent-ils vérifier si les ‘’étoiles’’ des prétendants sont concordantes. Ils veulent savoir fondamentalement, si une fois mariés, ces personnes feront des enfants, s’ils seront heureux ou auront longue vie ensembles. Ils expliquent leurs préoccupations, confient les noms des ‘’amoureux’’ et de leurs parents, puis attendent un résultat. Si le marabout après son jeu de cauris, de chapelet ou de je ne sais quoi d’autres ; ou bien le religieux suite à ses invocations et prières disent que leurs étoiles sont conformes, dans ce cas, les parents sont d’accord et sont prêts à bénir l’union. Si le contraire se produit, c’est-à-dire que les prétendants sont jugés par le marabout, incompatibles pour le mariage, alors là ils feront tout pour ne pas qu’ils se marient. Ainsi il est donné un sens aux paroles des ‘’pronostiqueurs’’ et non à l’amour que les deux voulaient matérialiser par le mariage.

Est-il juste de s’appuyer sur ces ‘’pronostics’’ pour définir le destin d’un couple ? Est-ce que c’est à un marabout ou à un religieux de savoir et de prédire jusqu’à quand quelqu’un va vivre ? Comment des êtres humains peuvent savoir si des gens auront longue vie ensembles ou pas ? S’ils seront riches ou pauvres, s’ils procréeront ou pas, ou encore s’ils seront heureux ou malheureux ? En tant que croyant ma réponse reste celle-ci : on ne peut prévoir le destin car pour moi le dernier mot revient à Dieu. Et ceci n’est qu’une tradition et non une recommandation de l’islam (source : des religieux auxquels j’ai posé la question).

Combien de cœurs cette histoire de ‘’conformité d’étoiles’’ a-t-elle brisés ? Combien de couples ont-ils divorcés à cause de cette histoire ? Je ne peux donner de nombre exact ; ce qui est sure, ce que cette fameuse tradition brise des cœurs et des foyers.

A une discussion entre femmes en Septembre 2017 à Conakry, cette question a été évoquée (un débat que j’ai provoqué bien sûre). C’est alors là qu’une femme, enseignante de profession, m’a confié ce qu’elle a vécu à cause de cette tradition. Se marier a été très compliqué pour elle, m’a-t-elle expliqué. Elle croit dur comme fer que cette histoire d’étoiles n’est qu’une tradition archaïque qui n’a aucune valeur : « Lorsque j’étudiais à l’université de Kankan, beaucoup d’hommes ont voulu de moi en mariage ; j’ai refusé parce que non seulement je ne les aimais pas mais aussi parce que je ne voulais pas interrompre mes études malgré l’insistance de mes parents. Alors en 2003 j’ai rencontré un homme qui était dans la même université que moi mais qui me dépassait de deux classes et qui était lui sur le point de finir. On a vite sympathisé et on est devenus de bons amis. Il m’a fait une demande en mariage une année après notre rencontre, j’ai réfléchi quelques mois en poursuivant toujours la communication avec lui. J’ai ensuite fait la proposition à mes parents qui m’ont demandé un temps de réflexion après m’avoir posé des milliers de questions sur lui et sa famille auxquelles quelques fois je ne pouvais répondre, ne connaissant pas sa famille. Un jour, j’étais venue passer les vacances chez mes parents, j’ai relancé la question, ma mère m’a répondu carrément sur un ton ferme que je ne pouvais me marier avec cet homme. Surprise, j’ai demandé pourquoi ; elle me répond, que c’est parce que celui-ci n’est pas mon mari. Je trouvais cette réponse tellement vague que j’ai poussé les interrogations, alors elle m’a dit que ce sont nos étoiles qui ne correspondaient pas. J’ai éclaté de rire et lui ai demandé comment peut-elle le savoir. Elle m’a répondu qu’elle est allée voir des sages et des marabouts, aucun d’eux n’a dit du bien sur cette éventuelle union. J’étais déçue et perdue parce que j’aimais déjà ce jeune homme mais avec l’appui de mon père, ma mère a tout fait pour me détourner l’esprit et empêcher ce mariage. Ils m’ont ainsi brisé le cœur et m’ont fait perdre le premier vrai amour de ma vie mais comme chez nous on ne peut défier nos parents, je me suis pliée à leur vœu et je suis restée quelques années sans parler de mariage… »

En me racontant cette histoire, je lisais sur son visage du regret, de la pitié et surtout de la déception. Poursuivant son explication, elle m’a fait comprendre que dans sa famille aussi, il ne peut y avoir de mariage sans cette pratique : « … En 2008, par le biais de ma sœur, un homme s’est présenté en famille pour demander ma main ; là aussi ils ont fait la même consultation et cette fois-ci ils m’annoncent que c’était lui l’homme que j’attendais, qu’on sera heureux et aura des enfants ensembles. Avec beaucoup d’incertitude je me suis mariée avec lui en Juillet 2008 vu que je prenais de l’âge. J’ai fait un garçon avec lui puis les problèmes ont commencé ; je l’ai aimé certes mais ce n’était pas mon genre d’homme. Il voulait être obéit comme à l’époque de nos ancêtres (rires), et voulait coute que coute j’arrête de travailler pour rester à la maison ; Je ne supportais plus, c’est ainsi j’ai demandé le divorce en 2011. Où est passé cette éternité qu’avaient prédit les marabouts de ma mère ? C’est pourquoi je dis que cette vérification des étoiles n’est rien d’autre qu’une façon pour les parents de pouvoir avoir leur mot à dire dans nos choix sinon ce n’est pas vrai. Seul Dieu connait le destin. Je me dis parfois que si je m’étais mariée avec l’homme à l’université, je n’allais pas divorcé peut-être. Qui sait ? En tout cas jusque-là j’ai la ferme conviction que si je m’étais mariée avec lui, les choses auraient été différentes pour moi…»

Elles sont nombreuses ces personnes comme cette femme ayant été confrontée à cela, notamment des membres de ma propre famille. Lorsqu’une fois j’ai demandé à ma mère le pourquoi de cette consultation avant le mariage, elle m’a répondu qu’elle ne connait pas exactement et n’y croit pas trop parce que c’est Dieu qui connait la bonne personne mais ‘’ Ko Finaa Tawa’’, traduisez ‘’ C’est la tradition, c’est avec ça nous avons trouvé nos parents’’.

Lors d’un autre débat autour de cette question que j’ai initié récemment entre ‘’potes’’ dans un endroit récréatif, un de mes amis dont je préfère taire le nom nous a expliqué qu’il est à l’heure actuelle en train de vivre les séquelles de ce jeu au loto. Il a été contraint de renoncer à une fille à laquelle il tenait beaucoup parce qu’un marabout aurait confié à sa mère qu’une fois qu’il épousera cette fille, il décédera. Et à ce jour, cette fille a été mariée, donné naissance à une fille et vit encore avec son mari. Et pour mon pote, d’après ce qu’il a raconté, ce n’est pas la rose dans son foyer, pas d’enfants, pas de joie de vivre après 3 années de mariage. Et la question qu’il se pose aujourd’hui : Et si c’était avec l’autre ?

Alors après toutes les conversations que j’aie eues autour de cette fameuse question, avec mes amis, parents et quelques religieux, jusque-là je ne vois pas son utilité. A quoi bon d’empêcher des personnes qui s’aiment de se marier ou de forcer des gens à se marier parce que tout simplement un être humain a prédit un malheur ou un bonheur qui pourrait leur arriver ? Dieu nous a tous créés, chacun avec son caractère, seul lui connait la bonne ou la mauvaise personne, Seul lui peut décider jusqu’à quand allons-nous vivre et lui seul peut nous donner des enfants ou ne pas nous en donner. En attendant d’entendre des arguments plus convaincants sur cette pratique, je refuse de la croire et de la valoriser.

Comme Saint Augustin disait qu’à une loi injuste, nul n’est tenu d’obéir ; alors disons aussi que nul n’est tenu de valoriser une tradition injuste !

Cette histoire d’étoiles ‘’ au loto’’ qui brise des cœurs !
Hadiatoullaye Diallo
3 décembre, 2017
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