Qu’est ce qui nous reste réellement de la fierté d’être guinéens?
Je suis née et j’ai grandi dans un pays de l’Afrique de l’Ouest qui s’appelle la République de Guinée. Riche de sa diversité culturelle et ethnique, très beau de par son paysage verdoyant...
Je suis née et j’ai grandi dans un pays de l’Afrique de l’Ouest qui s’appelle la République de Guinée. Riche de sa diversité culturelle et ethnique, très beau de par son paysage verdoyant et vivable de son climat à deux saisons (sèche et pluvieuse). Sa capitale est Conakry, autrefois désignée ‘’perle de l’Afrique’’ de par sa beauté et sa propreté. Véritable scandale géologique, château d’eau de l’Afrique Occidentale. Voilà en plus bref ma belle et adorable Guinée! Un pays doté de tout pour être un Eldorado. Un pays qui a tout et qui manque presque de tout. Oui c’est là le paradoxe et nous en sommes fières ou peut-être pas véritablement fières!

J’ai grandi dans un milieu où j’ai eu la chance de connaître et côtoyer des gens issus des quatre régions naturelles. Si je ne parle pas au moins quatre langues différentes de mon pays c’est parce que je n’ai pas un grand sens d’apprentissage des langues. Mon père a eu des collègues soussous et malinkés dont certains enfants ont fréquenté la même école et parfois fait la même classe que moi rapprochant ainsi nos parents et renforçant leurs liens. Ma mère, de son côté s’est faite des amies issues d’autres milieux avec lesquelles elle a développé des relations fraternelles dirai-je.

Certains d’entre eux militaient pour Conté, d’autres pour Bah Mamadou ou Siradiou Diallo ou encore Jean Marie Doré (pour le peu que je me rappelle). Jamais en ce moment quelqu’un était rejeté ou remise en question par son ethnie ou son appartenance politique au point de se haïr ou de vouloir même la mort de son prochain comme cela se passe ces dernières années chez nous. Où est passé donc cette fraternité ou cette diversité culturelle qui faisait à la fois notre beauté, notre fierté et notre force ?

Petite écolière et élève, on m’a enseigné à l’école que la Guinée était riche de son sous-sol: bauxite, diamant, or et autres… sans parler du nombre de fois où on m’a parlé en cours de géographie de la fertilité de sa terre, propice donc à l’agriculture, de l’immensité de ses terres cultivables et de son abondance en eau. Qu’ont-ils fait de tout cela?

Quinze ans avant aujourd’hui, si on me disait qu’en 2018 nous devrions faire face à des problèmes d’eau, d’électricité, d’infrastructures sanitaires ou éducatives, mes rêves d’enfant et la foi en la richesse de la Guinée dont on me parlait tout le temps m’auraient empêchés de le croire. Je ne dis pas que ça n’a pas évolué depuis mais pas à la hauteur de mes rêves de gamines et ils n’étaient pas exagérés ces rêves, ils étaient justes et normaux.

Innocente, je ne pouvais penser que des gens, des guinéen.n.e.s auraient contribué à appauvrir ce pays au lieu de le développer, le piller pour se remplir les poches servant par individualisme, créant ainsi une cuisante injustice sociale et de la frustration. Je ne pouvais penser que des guinéens à la quête du pouvoir pouvaient nous mentir en créant des rivalités ethniques et régionalistes plongeant les pauvres citoyens dans une haine féroce. Eh oui! A le dire ou pas, c’est là que la médiocrité, l’égoïsme et la mauvaise foi de nos dirigeants nous ont conduits. Mais tout ceci a été bien évidemment rendu possible par la complicité et la naïveté de la population qui s’est laissée berner par des discours cousus de nulle part et sacrifiant sa solidarité au lieu d’exiger de ces politiques la vérité et le travail.

De conté à Condé (je ne parle que du peu que je connais), ce sont les mêmes qui partent et qui viennent, du plus petit poste au haut sommet de l’État, chacun œuvrant à se faire briller, se remplir les poches, et à ravitailler son clan avec l’argent du pauvre contribuable. Ce sont les mêmes qui se gavent, les mêmes qui se saignent. Des élites, de bons cadres ce pays en a certes connu mais des malhonnêtes et véreux aussi, il en a connus beaucoup.

Et c’est la même classe politique qui nous emmerde depuis des lustres. De quoi en a-t-elle fait preuve ? De bons projets de société ? D’une bonne politique gouvernementale ? D’une participation efficace au développement de la Guinée ? D’une gestion efficiente de nos biens et richesses ? Non, je n’en crois pas. Mais ce dont je suis sûre, ce qu’ils ont réussi à faire de nous des haineux incapables de raisonner et de voir la réalité en face; à faire de nous leurs instruments qu’ils peuvent manipuler à leur guise tels des moutons qui suivent inconsciemment leurs bergers. Ils nous ont menti, trahi et ils ont réussi à nous diviser.

A chaque sortie d’un rapport sous-régional, africain ou international sur des questions de développement et de droits humains, la Guinée occupe souvent les places les plus obscures voire déshonorantes. Nous assistons à des tueries à la hollywoodienne, des viols sur mineurs sont enregistrés chaque semaine, des braquages, des enlèvements, des disparitions. Qui sait quoi et pourquoi? Personne n’en sait rien, la justice n’existant que contre les faibles, privilégiant les riches et les commis de l’État garantissant ainsi l’impunité. Des enquêtes sont toujours ouvertes qui ne connaissent jamais de suite et donc, aucune justice n’est rendue aux victimes.

Victor Hugo nous disait: «L’éducation c’est la famille qui la donne; l’instruction c’est l’État qui la doit». Qu’en est-il en Guinée? Ces dix dernières années, aucune année scolaire n’est entamée sans être interrompue. Si ce ne sont pas les politiques qui crient, ce sont les syndicalistes qui réclament ou les enseignants qui demandent de meilleures conditions de vie. Ça crie, ça débraye, ça bloque, ça tue… les enfants ne vont pas à l’école. Qu’ont-ils fait pour mériter cela ? Que faut-il pour ne pas qu’ils sombrent dans l’ignorance ? On ne sait pas! Le gouvernement a d’autres priorités que l’instruction de sa jeunesse et certains parents diront que les temps sont durs, pas question à veiller sur les gamins, ils doivent chercher de quoi les nourrir, d’autres restent les bras croisés arguant qu’ils ne savent pas quoi faire, ce qui n’est pas totalement faux mais ça ne justifie pas la négligence de l’éducation de leur progéniture.

Nous avons entendu du côté du gouvernement que «les enseignants sont mal formés et ce n’est pas normal qu’ils demandent à être payés cher.». D’accord, mais qui les a formés, qui les a recrutés ? Comment sont-ils donc devenus enseignants? Peut-être qu’ils sont tombés là-dedans un beau matin comme par magie. Pire, un gouvernement sans gêne confirme que les enseignants de son pays sont mal formés, ça frise le ridicule. Et au lieu d’y remédier, on nous enfonce dans un véritable merdier.

En attendant que ceux qui sont censés régler cette situation finissent leur jeu d’entêtement et d’intimidation à la con, les enfants continuent de sombrer à la maison et dans les rues. Je plains surtout ces enfants dont les parents comme les miens, qui ne sont pas des privilégiés de l’État et n’ont pas les moyens de les emmener ailleurs ou dans des écoles privées huppées. En voilà une autre injustice sociale. Et pendant ce temps, des fonds qui auraient pu contribuer à l’éducation de toute une nation sont destinés qu’à un groupe d’individus ou utilisés dans des futilités.

Et avec tout cela, pouvons-nous dire encore que la jeunesse est la relève de demain ? Comment une jeunesse mal formée ou pas du tout formée au 21ème siècle, en 2018 peut-elle constituer une relève pour un pays ? Possible, mais dans nos rêves! Comment un enfant aujourd’hui qui n’a demandé qu’à être éduqué et instruit peut se sentir redevable envers son pays qui a été incapable de lui offrir une meilleure éducation ? Pourrons-nous en vouloir à cet enfant, si un jour, il parvient à se sauver et trouver ailleurs ce dont il a besoin pour s’épanouir ou fuir par n’importe quel moyen à la recherche de ce que j’appelle «un lendemain meilleur»? Je crois que nous devrions en avoir honte !

Dès qu’on se demande comment nous tirer de cette situation ‘’merdique’’, on a tout de suite tendance à penser à la jeunesse. Sauf que je reste sceptique à sa fiabilité. Une jeunesse qui ambitionne d’être fortunée facilement par n’importe quel moyen et non de passer par tous les moyens pour se former. Une jeunesse égoïste et individualiste, qui au lieu d’être solidaire, se livre à la facilité et à la notion ‘’ Tout va bien pour moi, tant pis pour les autres’’.

Des jeunes qui au lieu de se surpasser de leurs divergences d’opinion et appartenances politiques pour mettre en avant leurs compétences et unir leurs actions pour impulser bravement leurs initiatives et activités, se livrent à la concurrence déloyale et se laissent instrumentalisés par des soient disant ‘’ Boss, grands, mentors’’ qui ne font que se servir d’eux. Je doute fort qu’une telle jeunesse puisse nous sortir d’une situation aussi désespérante que celle qu’on vit actuellement.

Tout n’est peut-être pas noir ou négatif. Très peu de choses me font croire que nous pouvons espérer un changement proche. Cependant, il y a une poignée de personnes et quelques actions minimes soient-elles qui nous donnent envie de croire que l’espoir est encore permis.

Par exemple, ces personnes qui se sont battues seules sans attendre une quelconque aide étatique pour bâtir quelque chose et faire profiter à leurs semblables. Aussi, ces jeunes entrepreneurs (je ne parle pas des vendeurs d’illusions mais des entrepreneurs dans le vrai sens du terme) qui sont partis de rien pour bâtir leurs entreprises offrant à d’autres jeunes l’opportunité d’apprendre et de travailler. Ces quelques rares jeunes et femmes qui ont le sens du partage d’expérience et de l’entraide dans la discrétion, qui ont encore le sens de la loyauté, de l’intégrité et qui agissent avec honnêteté et conviction. Oui ce sont aussi ces quelques rares jeunes à l’intérieur du pays qui sont souvent oubliés dans les grands rendez-vous concentrés à Conakry et dans le partage des rares financements octroyés par l’État, qui sont restés dans leurs préfectures ou villages à œuvrer avec leurs petites connaissances pour le développement de leurs localités. Ces jeunes hommes et femmes qui, à travers leur créativité, leur innovation et dévouement, transportent la Guinée au-delà de ses frontières. Mais également ces jeunes filles et femmes contraintes dans leur épanouissement par les réalités socio-culturelles, qui parviennent quand même à se faire de la place dans cette société si discriminatoire et à se faire entendre. Ces jeunes filles qui montent des petits groupes pour se défendre et protéger leurs sœurs contre les fléaux qu’elles subissent au quotidien: viol, excision, violences, maltraitance, mariage précoce, déscolarisation… Sinon vraiment qu’est ce qui nous reste de la fierté d’être guinéens ?

Sans risque de me faire lapider, je dirai que la majeure partie des guinéens disent être fiers de la Guinée par preuve sociale ou pour montrer un patriotisme masqué par l’hypocrisie puisque nous aspirons tous à mieux, nous voulons d’une Guinée meilleure que celle qu’elle est aujourd’hui. Alors autant se mettre ensemble, d’y travailler que de se mentir par une simple phrase «Je suis fière d’être guinéen.n.e» .

En tout cas moi, je serai moins offusquée lorsque mon pays est identifié comme ‘’Guinée Conakry’’ par méconnaissance que lorsqu’il est taxé de ‘’Pays sans avenir’’, de ‘’pays pauvre’’ ou encore de ‘’pays en conflits ethniques’’ par preuves existantes.

Qu’est ce qui nous reste réellement de la fierté d’être guinéens?
Hadiatoullaye Diallo
27 mars, 2021
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